PREMIÈRE PARTIE
« c’est l’éducation qui fait l’enfant, pas l’inverse. »
Frieda Deischt leva les yeux de son parchemin pour observer le ciel à travers sa fenêtre. Elle n’était pas une enfant particulièrement assidue, en vérité, elle était même tout à fait le contraire. Sa mère la surnommait « ma petite rêveuse » en guise d’affection, mais la fillette voyait bien l’inquiétude dans son regard lorsqu’elle se rendait compte que sa progéniture était en retard comparée aux autres. Il n’y avait pas d’écoles proprement dites à Trémet, l’éducation se faisait par le biais des parents ou en payant un précepteur. Chose impossible pour le couple de marchand puisqu’ils n’avaient ni l’envie, ni les revenus nécessaires. Menya voulait élever sa fille elle-même, seulement dès qu’elle discutait avec d’autres mères elle se rendait compte que l’inattention de Frieda allait finir par la rendre, non pas bête, mais moins intelligente que d’autres. Certes, elle n’y était pour rien, mais cela l’attristait plus qu’elle ne l’aurait cru. La Succube poussa la porte de la chambre de la petite, constatant avec dépit que son attention n’était nullement portée sur ses travaux mais plutôt sur l’immense ciel bleu. Elle pinça les lèvres, toussota doucement pour se signaler et pénétra dans la pièce. Frieda sursauta violemment.
« Mère ? »« Tu n’es pas en train de travailler, Frei. »« Je… Je faisais juste une petite pause ! »« Allons, ne prends pas cet air apeuré, mon enfant. » tenta de la rassurer la femme « Est-ce que tu as au moins terminé les calculs que je t’avais donné à faire ? Ils étaient simples. »« Je… Non… »« Frieda… »Menya soupira, portant une main à son front. Si elle n’avait pour le moment encore aucune ride sur son beau visage, sa fille allait finir par lui en donner à cause des soucis qu’elle lui apportait.
« Et quand est-ce que tu comptes les faire, au juste ? »« Tout de suite, mère ! »Le sourire angélique qui pointa sur les lèvres de l’enfant provoqua un apaisement immédiat chez la marchande. Cette dernière secoua doucement la tête, faisant danser ses boucles bleues de façon charmante.
« Tu es irrécupérable, ma fille. »DEUXIEME PARTIE
« les rêves et les ambitions sont ce qui nous différencient les uns des autres. »
Ses yeux vairons couleur ciel et terre demeuraient accrochés à la silhouette qui se mouvait dans le ciel. Le vol du griffon majestueux la fascinait. La bête décrivait des cercles parfaits dans l’immensité bleutée, son pelage brillant de couleurs chatoyantes et sublimes. La jeune Lemundr posa son menton dans la paume de sa main et soupira longuement. Jamais elle ne pourrait approcher une telle créature, encore moins la monter. Elle devait se faire une raison, rapidement : sa vie se résumerait à prendre la succession de la boutique. Aux oubliettes, sa passion pour les armes, son respect pour l’Ordre des hassenshiyin ou l’attrait puissant qu’elle ressentait envers les créatures que ces guerriers pouvaient monter. Ce devait être ainsi, et pas autrement.
« Encore à rêvasser, n’est-ce pas ? »« Rêver n’est pas interdit, que je sache. »Un rire léger, celui de son père, retentit derrière elle. Alinor soupira en se redressant et se tourna à demi vers lui.
« La boutique est fermée aujourd’hui, père. Que puis-je faire de plus ? »« C’est l’héritage que nous te gardons, Alinor, pas une vulgaire corvée. »« Je suis désolée, ce n’est pas l’impression que je voulais donner… »LeSuccube esquissa un sourire et posa sa large main au sommet du crâne de la jeune fille âgée de douze ans.
« Tu verras, un jour tu comprendras que ce dont tu rêves n’est pas forcément ce dont tu as besoin. »« Sûrement… » acquiesça la fille.
Dès que Kalten fut parti, elle reporta son attention sur le vol du griffon. Son père avait peut-être raison sur ce point, mais si c’était ça, ce dont elle avait besoin ?
TROISIEME PARTIE
« faire ses propres choix, vivre ses propres expériences. »
« Je refuse qu’elle entre dans cette... guilde, Menya ! »« Tu ne pourras pas briser ses rêves si facilement. »« Ce sont des rêves ! Des ambitions d’enfant un peu trop tenaces à mon goût. Encore quelques mois et je suis certain qu’elle trouvera même du plaisir à travailler à nos côtés. »« Je pense qu’elle doit suivre ses envies, Kalten. Qu’importent nos désirs, elle en a besoin. Ne vois-tu pas qu’elle se fane telle une fleur que l’on vient de cueillir ? Bientôt, elle commencera à nous en vouloir. »« … »« Tu sais que j’ai raison. »« Fais ce que tu veux, mais de toute façon personne ne voudra d’elle, elle est trop excentrique. »Un sourire empreint de malice se forma sur le visage de la Succube.
« Et si je te disais que j’ai déjà trouvé quelqu’un ? »« Ne me dis pas… »« Say’l est dans cette guilde, qui plus est, c'est un Incarnateur, l’aurais-tu oublié ? Ce n’est pas parce qu’il n’utilise pas son arme à tout-va qu’il n’en n’y est pas. »« Je sais très bien ce qu’il est mais… »« Tu avais imaginé qu’il n’accepterait pas Frieda en apprentissage. »« C’est cela. »« J’ai dû lui promettre une réduction sur notre prochain arrivage d’herbe à pipe et de sablés, mais il a accepté. »Menya s’amusait comme une petite folle devant les réactions désespérées de son époux. En vérité, elle avait juste eu à parler a l'Hasshenshiyin pour qu’il accepte quelques heures plus tard d’évaluer leur fille. Say’l le Vagabond était un combattant noble, elle ne se faisait donc aucun soucis en ce qui concernait l’entrainement de Frieda. Ce qui l’inquiétait, c’était plutôt Kalten : comment allait-il continuer à vivre si sa fille chérie n’était plus avec lui ? Sous ses airs de rustre impotent, il aimait de tout son cœur la jeune fille…
« Tout ira bien pour elle. »« Je sais. »QUATRIEME PARTIE
« c'est l'apprentissage de toute une vie. »
Frieda observa d’un œil critique l’homme qui se tenait en face d’elle. Dans les récits chevaleresques, le guerrier était toujours plein de charisme. Il était grand, fort et musclé. Son regard brillait d’un air bienveillant et il souriait lorsqu’on lui parlait. Seulement, elle n’était pas dans un conte… Cela se voyait rien qu’à la mine tendue qu’arborait sa mère. Le combattant haussa un sourcil.
« Pourquoi me fixes-tu ainsi ? »« Vous ne ressemblez pas à l’idée que je me faisais d’un chevalier. »Elle sursauta quand un rire assourdissant, semblable à l’aboiement d’un gros chien, émanât de l’homme.
« Je vois… Sans doute ne suis-je pas assez jeune et vaillant ? »La jeune Succube se garda bien de répondre, ses lèvres scellées gardant ses pensées à l’intérieur d’elle.
« Ta mère m’a contacté pour que je t’évalue. »« Je sais cela. »« Quelle répartie ! »De nouveau, son rire bruyant retentit.
« Sais-tu aussi quel est mon verdict ? »« Comment le pourrais-je ? »Son regard sombre la pénétra jusqu’aux tréfonds de son âme, et elle frissonna sous ce contact intense.
« Tu serais mon apprentie, Frieda : je t’apprendrais tout ce que tu dois savoir pour être une bonne combattante, et je te préparerais à ton combat final. »Say’l esquissa un sourire devant l’air hébété de la jeune fille. Il avait été à sa place de nombreuses années plus tôt et savait parfaitement ce qu’elle ressentait. La surprise, la joie, la crainte aussi. Celle de ne pas être à la hauteur, et d’échouer lors de l’Epreuve. Celle de se rendre compte que finalement on aurait mieux fait de ne pas faire appel à un Maître. Mais il avait senti la puissance qui dormait au fond de cette enfant qui allait bientôt faire ses premiers pas dans le monde de l’adolescence. Elle était déterminée, franche et, surtout, ne manquait pas de ressources. Ce serait à lui de l’aider à perfectionner les talents dont elle disposait déjà. L’humain tendit une main gantée vers la Succube. Elle la considéra avec des yeux aussi ronds que des billes.
« C’est une coutume humaine. On se sert la main… Tu apprendras bien vite. »« Je connais cette coutume. » répliqua-t-elle avec le même air rebelle qu’auparavant.
Sans sourciller, elle laissa sa petite main disparaître dans cette grosse paluche et lui rendit sa poignée avec toute la force dont elle était capable.
« Bienvenue parmi nous, Apprentie Frieda. »CINQUIEME PARTIE
« une épée est l'extension de ton être. »
Frieda tenta une énième feinte vers la gauche et bifurqua brusquement à droite. Son adversaire para sans difficulté le coup, puis attaqua à son tour. Il n’était même pas essoufflé. Elle allait mourir avant même d’avoir pu passer son Epreuve. L’épée la toucha à l’épaule, une douleur puissante déchira son esprit et elle s’effondra au sol. Le premier réflexe qu’elle eut fut de poser sa main sur sa blessure, mais ce fut une erreur puisqu’une nouvelle vague de souffrance se répandit en elle tel un poison virulent. Elle étouffa un gémissement et se mit en position assise. L’homme se pencha pour que leurs regards puissent se croiser.
« Tout va bien ? J’y suis peut-être allé un peu fort. »« Je vais bien. » cracha-t-elle entre ses dents.
« Je vois ça… Alors debout, Apprentie ! Montre-moi que j’ai eu raison de te choisir. »En grimaçant, elle se remit sur ses pieds. L’arme en bois en main elle s’efforça d’oublier la douleur pour se concentrer sur l’entrainement. Say’l était un Maître dur, il voulait qu’elle donne sans cesse le meilleur d’elle-même pour qu’elle puisse être fière d’elle. Il percevait facilement les regards moqueurs des autres aspirants, et ceux méprisants de ses confrères. Beaucoup jugeaient son choix totalement fou, pourquoi perdre son temps avec une fille aussi rebelle et insouciante ? Mais le chevalier savait qu’il ne pouvait trouver meilleure apprentie. Frieda faisait preuve d’une détermination à toute épreuve, une détermination qui la mènerait loin.
« Je suis prête. »« Je ne crois pas, non… Regarde comment tu tiens ton épée. L’épée, c’est ton bras. Sans elle tu n’es pas complète. Il faut que tu comprennes ça avant de vouloir faire des moulinets n’importe comment ! » la rabroua-t-il, le regard sombre.
« Oui, ... Maître. »Elle baissa la tête en signe de soumission, ce qui arracha un soupir furieux au guerrier. Il jeta l’épée en bois au loin, faisant mine de quitter le terrain. Comme il s’y attendait, la jeune fille se précipita derrière lui et posa les mains sur les hanches.
« L’entrainement n’est pas terminé ! Je vous ai dit que je ferais plus attention ! »« Je ne veux pas que tu m’obéisses, Frieda, je veux que tu comprennes. »« Mais… je comprends… »« En es-tu bien sûre ? »« Oui… »« Alors rajuste-moi ce maintien. »SIXIEME PARTIE
« la mort du compagnon, c'est la mort de l'âme. »
Un Incarnateur ne peut espérer survivre sans son Démon Incarnateur, c’est l’une des premières choses que Frieda avait appris. Si les deux ne perdaient pas la vie en même temps, le survivant serait condamné à la folie ou la mort. L’animal était traqué par les siens ou se laissait dépérir, l’homme tombait dans une folie teintée de désespoir et se retrouvait à errer sans but. Ou alors, il se suicidait. Lorsqu’on lui contait ces histoires terrifiantes où l'Incarnateur ne devenait plus que l’ombre de lui-même, elle fermait les yeux et priait de tout son cœur que cela n’arrive jamais à son Maître. Seulement, les prières ne sont pas toujours entendues.
« Il est gravement blessé. »« Va-t-il s’en sortir ? »« Rien n’est moins sûr… et j’aimerais qu’il succombe à ses blessures. Être celui qui lui annoncera ça… »« Say’l ne peut pas mourir. »La jeune adolescente de dix-sept ans passa la tête par la porte, sa longue chevelure d’automne couvrant ses épaules. Son regard habituellement jaune était devenu brun, comme un ciel qui se couvre de nuages. Elle poussa la cloison de bois.
« Je veux le voir. »« Je regrette, Alinor… » commença le médecin.
« Je suis son apprentie ! J’ai le droit de le voir ! »« Reste en dehors de ça, Aspirante. »La Succube affronta le Maître le menton relevé, avant de détourner les yeux. Say’l n’aurait pas voulu qu’elle s’attire inutilement des ennuis, elle se devait donc de faire honneur à ses principes. Elle fit quelques pas en arrière avant d’oser demander d’une voix faible :
« C’est vrai que son Démon Incarnateur est… »« Oui. »« Par Hestia… » SEPTIÈME PARTIE
« un eternel renouveau. »
Say’l avait disparu. Certains allaient jusqu’à dire qu’il était mort mais elle refusait d’entendre cette version de l’histoire. Elle préférait croire qu’il avait eu besoin de s’éloigner du désert plutôt que d’imaginer une seule seconde qu’il était devenu l’un de ces guerriers-fantômes dont le voyage ne cessera que le jour où la mort les fauchera. Ces récits l’avaient tellement terrifiée qu’elle en faisait des cauchemars ; cela n’avait rien d’étonnant… Sauf que désormais l’homme errant dans les plaines, le regard vide et caverneux n’était autre que son Maître.
« Apprentie ? »Elle releva les yeux de son épée qu’elle nettoyait depuis plus d’une heure. C’était un cadeau de Say’l, et c’était maintenant tout ce qui lui restait de l’humain. Elle serra la lame contre elle, ravalant des larmes qu’elle ne voulait pas verser.
« Oui ? »« Nous devons te confier à un autre Maître, ton apprentissage n’est pas terminé. »« Mon Maître n’est pas mort, je refuse de… »« Tu n’as pas ton mot à dire. »La jeune femme pinça les lèvres. Elle savait qu’elle n’avait pas le choix, mais elle aurait aimé être certaine de la mort de Say’l avant de devoir appeler quelqu’un d’autre « maître ».
« Je te présente Hywel Sartharion. C’était un grand ami de Say’l, tu t’entendras bien avec lui. »« Je te salue, Aspirante. »Elle ne l’aimait pas. Il avait le même ton distant que les autres chevaliers. Il ne la regardait même pas dans les yeux. Ça, un grand ami de son maître ? Elle n’en n’était pas si sûre. Frieda pointa le menton en avant, son regard improbable accrochant celui de l'Elfe.
« Je vous salue, Maître. HUITIÈME PARTIE
« le respect des ordres sont le fondement d'une relation d'un Apprentit à son Maître »
Une fois de plus, Frieda s’entrainait seule. Hywel ne prenait pas le temps de s’occuper d’elle. Cela avait fini de l’étonner, elle s’y habituait tant bien que mal. Son cœur meurtri regrettait la disparition de Say’l mais elle comblait cette tristesse par la perfection de ses techniques. Elle était ici pour devenir une hashashijin et rien ne l’y en empêcherait. Au bout d’une heure entière, elle s’arrêta pour aller éponger la sueur qui recouvrait chaque centimètre carré de son corps fin.
« Aspirante ? »Sartharion apparu comme par enchantement derrière elle, son drake observant l’adolescente avec de grands yeux curieux et froids. Elle termina sa toilette, puis daigna se tourner vers l'Elfe qui était resté silencieux.
« Oui, Maître ? »« La prochaine fois, je n’attendrais pas que tu veuilles bien m’écouter, Frieda. »« Je suis désolée, Maître. »Ses dents grincèrent alors qu’elle retenait une remarque acerbe.
« Tu te souviens de ce que je t’ai dit, hier ? »« Vous deviez rendre visite à un noble du nom d’Altharion Mor’Averh. « Exact, maintenant j’ai une mission à te confier. »« Quelle est-elle, Maître ? »« Tu seras notre agent de liaison entre Altharion et l’Ordre. Tu devras aussi veiller sur lui afin qu’il ne lui arrive rien. »« Pardon ? »« Serais-tu en train de devenir sourde, Apprentie ? »« Non, Maître, mais… »« Je ne t’ai pas demandé ton avis. »L’homme enfourcha sa monture reptilienne et s’éleva dans les airs.
« Sois chez lui demain à l’aube. Si tu t’avises d’être en retard, tu seras punie. »« Bien, Maître. »Être apprentie avait ses inconvénients… qu’elle ne voyait pas lorsqu’elle était au service de Say’l. Il la traitait comme une égale et non pas comme une vulgaire servante qui devait effectuer toutes les tâches qu’il lui disait. Mais Hywel n’était pas ainsi. Elle se mordit les lèvres, tournant son attention vers la mission qu’il lui avait assignée. Veiller sur un noble ? Et puis quoi encore !?
NEUVIÈME PARTIE
« étudie attentivement tes ennemis, décèle leur faiblesse et tu seras maître du combat. »
La jeune femme détailla sans gêne la silhouette qui s’avançait vers elle. Les riches atours ne l’intéressaient pas, pas plus que la poudre légère qui recouvrait le visage de l’homme, elle cherchait autre chose. Sa démarche presque féline était pleine d’assurance. Il respirait la noblesse et la fierté ; la façon qu’il avait de l’observer ne lui plaisait définitivement pas. Les plumes sur sa nuque s’hérissèrent lentement sous sa chevelure.
« Mon Maître m’a envoyé pour assurer votre protection, monseigneur. »Elle avait failli oublier ce dernier mot. N’étant guère habituée à frayer avec la noblesse, elle devait se forcer à penser à cette marque de respect sans quoi elle ne la dirait jamais. Elle affronta le regard inquisiteur du Sorin, jugeant qu’elle n’avait aucune obligation à baisser la tête en sa présence, et continua son examen. La haute taille du noble l’obligeait à pencher la tête en arrière… De son côté, il n’avait même pas à forcer pour donner l’impression de la regarder de haut. A sa ceinture pendait mollement un fourreau contenant une épée. Savait-il s’en servir ? Elle plissa les paupières. Sans doute. Mais il n’aurait jamais égalé Say’l. Si un affrontement devait avoir lieu entre elle et lui, elle pensait être capable de le battre. Avec de légères difficultés, peut-être, mais elle le battrait – sinon, à quoi bon sa présence ?
« Je me nomme Frieda Deischt. »« Oui, je sais. Eh bien écoutez, assurez donc ma protection comme vous le jugerez bon, aujourd’hui vous aurez la tâche aisée je reste dans mes appartements pour travailler. »« Je, euh, bien votre seigneurie. »Elle le suivit du regard alors qu’il tournait des talons. Décidément, cet homme allait rendre ses journées encore plus longues… Elle se mordit la langue pour ne pas soupirer de désespoir et décida d’emboîter le pas au Sorin le plus discrètement possible. Plus vite il se lasserait d’elle, plus vite Hywel la délesterait de cette mission dégradante. Et elle pourrait retourner à ses entrainements en vue de l'Épreuve.
DIXIEME PARTIE
« Amahaeng Òsa... n'oublie jamais ton rêve. »
La jeune femme avait fêté ses dix-neuf ans le mois dernier et pourtant elle ne se sentait pas si différente que ça. Ses traits n’avaient guère changés depuis la disparition de Say’l, seul son regard s’était durci. Sa détermination, flamme brûlante qui réchauffait son cœur, demeurait inébranlable ; seules ombres notables au tableau, Hywel et Altharion. Le premier lui montrait une facette de la Chevalerie qu’elle ne soupçonnait pas, le second la renforçait sur l’idée qu’elle se faisait des nobles – à savoir qu’ils ne faisaient que comploter à longueur de journée et qu’ils ne disposaient pas d’une once de bonté ou d’honnêteté à montrer. Mais Frieda faisait tout pour ne pas montrer ses véritables sentiments, se cachant derrière un masque rebelle et envoyant des remarques acerbes à qui la provoquait. Elle savait que l’Epreuve approchait, cela la rendait à la fois nerveuse et joyeuse. Elle se disait que si elle échouait elle aurait au moins la satisfaction d’avoir rencontré un grand Maître Chevalier, d’avoir été une Apprentie exemplaire et elle ne verrait plus la face poudrée d’Altharion. Rien que d’y penser… Brrr.
Mais apparemment, le dieu du destin ne la portait pas dans son coeur car l'Epreuve approchant, elle sentait que les choses changeaient, que les discussions étaient tournées vers un autre sujet, qu'étrangement, personne ne faisait allusion au combat qu'elle allait bientôt devoir mener, mais sa fierté légendaire lui avait susurré à l'oreille de ne pas poser de question, s'ils voulaient la tenir informée, ils le feraient. Étrangement, ce fut le noble qui vint la voir quelques minutes plus tard.
_Ta mère est venue hier.
Frieda avait arrêté de contempler le ciel.
« Pardon? »« Lorsque tu es née, tu as reçu la bénédiction d'un prêtre, et il s'est avéré que la bénédiction a réussi... »« La.. de... quoi... a réussi? »«Tu as reçu la bénédiction de Hestia. »Hestia... Hestia... la déesse du feu?
« Ceci ne corrobore aucunement avec ton apprentissage au sein de la Guilde... pars, et ne reviens que lorsque tu seras devenue une Amahaeng Osa accomplie. Tu ne peux prétendre à êre une grande guerrière si tu n'as pas la pleine mesure des pouvoirs qui t'habite . »L'homme qui était entré avait prononcé cette phrase d'un ton sec, froid, violent et avait fait l'effet d'une épée dans le corps de la jeune Succube. Elle s'était laissée tombée, faisant fi de la présence de son noble tant détesté et de cet homme qu'elle voyait pour la première fois. Mais son ton ne demandait aucune réponse, aussi, elle commença à rassembler ses affaires... devenir une Amaheng Òsa! Et bien tiens! Elle en deviendra une bonne, tellement bonne, que tous ces prétentieux nobliaux n'hésiteraient même pas à la faire intégrer cette guilde. Et elle comptait bien y arriver, où alors, elle ne s'appelait plus Frieda Deuscht!
Sans même se retourner, elle sortit en souriant... oui, en souriant: Qu'il était bon de ne plus voir ni Hywel, ni Altharon!